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Réclamer la terre au Palais de Tokyo

12/05/2022

Moreton bay rivers, australian temperature chart, freshwater mussel shells, net, spectrogram 2022
de Judy Watson et graphique représenté dans l’œuvre  / The family and the zombie 2021
de Karrabing film collective  /  It makes my day so much better if I speak to all of you 2022
de Kate Newby / Receiver 2019 de Huma Bhabha 

Exposition Réclamer la Terre au Palais de Tokyo jusqu’au 4 septembre 2022
Commissaire – Daria de Beauvais  Assistante curatoriale – Lisa Colin
Conseillers scientifiques – Léuli Eshraghi et Ariel Salleh

« En rassemblant écologie, féminisme, socialisme et politiques autochtones,
l’exposition pense la sortie d’un modèle de société capitaliste
et extractiviste et adopte un regard global. »

14 artistes sont invités au Palais de Tokyo à réclamer la Terre ! Afin de la sauvegarder, il est tout d’abord primordial de constater les dégâts que l’on lui inflige, aussi bien aux non-vivants qu’aux vivants et peu importe leurs espèces. Dans le dossier pédagogique exhaustif qui accompagne cette expo et duquel est tiré l’exergue ci-haut, on retrouve une ligne du temps avec les moments marquant des manifestations historiques d’écoféminisme tels que le mouvement Chipko en 1973 où des centaines de femmes en Inde, dans le massif de l’Himalaya, se sont opposées à un abattage d’arbres en les enlaçant. 300 ans auparavant, des centaines de villages de  la communauté Bishnoï s’étaient opposés de la même manière sous la direction d’Amrita Devi – L’Inde décerne d’ailleurs un prix pour la Protection de l’environnement en son nom.  Notez aussi que le Prix Nobel de la Paix en 2004 a été décerné à la biologiste Wangari Maathai pour ses engagements en faveur du développement durable et de sa lutte contre la déforestation au Kenya. Parmi les autres dates importantes que l’on porte à notre attention, il y a celle de 2007 de la Déclaration des Nations Unis sur les droits des peuples  autochtones. Ci-haut une œuvre de l’artiste Judy Watson descendante du peuple Waanyi, qui sur de grandes toiles illustrent la disparation des îles de la Seine comme celle de l’île Louviers à Paris ou l’annexion de deux îles pour former l’île Saint-Louis en 1614. La toile en lin ci-dessus sert en revanche à sensibiliser les gens à la disparition de cours d’eau dans sa région natale du Queensland en Australie. On peut clairement voir un graphique de la hausse des températures du dernière siècle et à droite une carte des rivières de la baie de Moreton qui doivent contrer des problèmes graves d’érosion, causés par le réchauffement climatique, comme l’explique ce chapitre de livre et résumé dans le brisbanetimes.com.

International rock art red 2022 – D harding /   Rock piece Ahuriri edition 2018 – Asinnajag /
Kowkülen – liquid being 2020 – Sebastian Calfuqueo / Nono soil temple 2022 – Tabita Rezaire /
Catedral 1990-2003 – Solange Pessoa / Death song 2020 – Megan Cope

Les relations à l’environnement par des cultures ancestrales sont mises de l’avant par de nombreux artistes de l’exposition, partageant avec fierté la tradition de leurs peuples comme par exemple à l’entrée, les couvertures de D Harding qui ressemblent aux manteaux d’opposum portés par ses aïeux issus des Bidjara, Ghungalu et Garingbal de l’Australie qui en passant sont agrandit tout au long de leur vie; ou Rock piece une démonstration de rituel sur fond de paysage arctique par Asinnajag –  réalisatrice et conservatrice de l’art de l’Inukjuaq au Nunavut. À l’instar de ce lien entre le corps & la terre avec les positions des pierres comme symbole du cycle de la vie et de la mort pour les inuits, Sebastian Calfuqueo de la communauté Mapuche au Chili se fond lui dans l’eau et protester par la même occasion de la privatisation de l’eau en 1981 par Pinochet. Ce savoir-être au monde nous amène aussi à un temple dédié à la Terre par Tabita Rezaire, qui sera éventuellement replacé dans un centre pour les sagesses du corps, de la terre et du ciel à Amakaba dans la forêt amazonienne. Telle une offrande, l’installation capillaire par la brésilienne Solange Pessoa se dresse en Cathédrale grâce à des harnais en cuir, symboles du cheval colonial espagnol introduit en Amérique. Rappelons, que les dessins des tresses africaines auraient servies comme plan pour se sauver durant la période de l’esclavage comme on peut l’entendre dans cette vidéo. Quant à Megan Cope – artiste Quandamooka, elle lance un chant du cœur pour la sauvegarde de la planète à travers Death song inspiré des oedicnèmes bridés, une espèce d’oiseau disparue en Tasmanie depuis 1900 et menacée dans certaines régions d’Australie quoiqu’elle a atteint dorénavant 1500 individus . Les instruments de cette installation proviennent à la fois de matériaux locaux mais aussi d’équipements miniers ou industriels blâmant ainsi la destruction des habitats par le capitalocène. Deux autres œuvres redonne vie aux matériaux, soit les totems de Huma Bhabha composé de pneus déchiquetés, rebuts de bois et de bronze ou le recyclage de morceaux de verre trouvés à Paris déposés dans des coquilles en porcelaine faites à Limoges par Kate Newby – images à la une.

La surconsommation est également un sujet abordé dans The family par le collectif aborigène Karrabing qui se soucie à la fois de la fragilité écologique de la région de Cape Ford où vivent encore une petite communauté de Emmiyangal et de l’effacement de leur culture causé par la colonisation. De surcroît, il ne resterait qu’une trentaine de locuteurs de la langue Emmi. Sur le site de l’Unesco, on relate une étude par l’université nationale australienne publiée dans Nature ecology & evolution 16/12/2021 qui « tire la sonnette d’alarme sur l’avenir de la diversité linguistique, soulignant que sur les 7 000 langues reconnues dans le monde – dont 6 000 sont des langues autochtones – près de la moitié sont actuellement en péril, et 1 500 d’entre elles en grave danger ».

The rebellion of the roots 2021 – Daniela Ortiz / Shadow creeper 2022 – Yhonne Scarce /
Study for a monument 2013 – Abbas Akhavan et en dessous
De Vert à Orange Espèces Exotiques Envahissantes 2022 – Tu Van Tran

Le monde végétal est au cœur de plusieurs installations pour dénoncer la colonialisation, comme d’ailleurs le titre explicite La révolte des racines de Daniela Ortiz avec des histoires irréelles autour des graines de pavot utilisées pour extraire la morphine ou de l’opium dont l’Afghanistan est le premier producteur mondial ainsi qu’un autre conte fantasmagorique de graines de gombo provenant d’un plant qui avait poussé sur la sépulture d’un révolutionnaire haïtien du XVIIIe siècle et qui une fois consommée par Kerry James, lui avait aidé à écrire sa Lettre à la République.

Des ignames en verre soufflé suspendus par centaines, servent à rendre hommage aux victimes des tests nucléaires du Royaume-Uni sur le territoire d’Australie Méridionales de 1956 à 1963. Yhonne Scarce choisit l’igname car c’est le principal tubercule consommé et vénéré par les peuples de cette région ; l’usage du verre évoque à la fois notre fragilité et impuissance face à ces décisions politiques rappelant les tests par la France sur les îles du pacifique de 1966 à 1996 que résume Des bombes en Polynésie aux éditons Vendémiaire 2022 ou celles dans le désert Algérien de 1960 à 1966 comme le relate le reportage en commémoration de ces horreurs.

De son côté, Abbas Akhavan décide de représenter la destruction végétale des rives du Tigres et de l’Euphrate durant la guerre en Irak, à l’aide de sculptures en bronze de fleurs sur un drap blanc telle une sépulture. Originaire d’Iran et installé à Toronto, l’artiste récipiendaire du Prix Sotheby’s incorpore depuis toujours des éléments de la nature. Dans le cadre de la dernière édition de Momenta biennale de l’Image, Spill a était présenté au Centre Phi et vient de présenter au Mount Stuart en Écosse son Study for a garden incluant un modèle d’invasions biologiques.

À la place d’utiliser des plantes endémique, Tu Van Tran décide au contraire d’étaler des plantes devenue invasives en occident à cause de leur naturalisation sous la période coloniale. Telle une tapisserie mais qui au lieu d’être verte est plutôt orange – couleur évoquant l’horrible écocide des années soixante au Vietnam ou simplement comme signal d’avertissement imminent pour la sauvegarde de notre planète.  Notez aussi que le plan d’action 2022-2030 pour prévenir la propagation des espèces exotiques envahissantes vient d’être publié en collaboration avec l’Office Français de la biodiversité, qui estiment à 12,5 milliards d’euro par an la gestion en Europe des dommages causés par les invasions biologiques.

CARSON Rachel (2020 v.o 1962) Printemps silencieux aux éditions Wildlife project, 352 p. Militante écologiste dénonçant les pesticides dès les années…. Avec une préface d’Al Gore

D’EAUBONNE Françoise (2020 v.o 1974)  Le féminisme ou la mort, éditions Le passager clandestin, 336 p. Préface de Myriam Bahaffou & Julie Gorecki et extraits sur le site de l’éditeur. Ouvrage dans lequel apparait la première fois le terme écoféminisme.

Coll. (2016) Reclaim – recueil de textes écoféministes sous la direction de Émilie Hache, éditions Cambourakis, 416 p.

Coll.(2021) Pluriverse  – a post development dictionary, Tulika books, 384 p. sous la direction du conseiller scientifique de Réclamer la Terre Ariel Salleh

Coll. (2019). Sovereign words – Indigenous art, curation and criticism,  Valiz/Oca éditions, 288 p. Incluant un texte de Léuli Eshraghui, conseiller scientifique de Réclamer la Terre et autres…

Magazine du Palais Tokyo #33 Avril 2022

Prochain billet sur les autres expos en cours au Palais de Tokyo

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